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1924-2024, les JO à Paris

Pour les JO de Paris en 1924, on délogeait déjà les étudiants pour loger les athlètes et les visiteurs

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Il y a cent ans, Paris accueillait déjà les Jeux olympiques. Qu’en disait la presse de l’époque. Elle s’interrogeait : où va-t-on héberger les athlètes et les visiteurs ? Et elle fulminait contre les hôteliers et leurs hausses de prix indécentes qui jetaient les étudiants à la rue.
par Gilles Dhers
publié le 19 avril 2024 à 12h16

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Avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur les Jeux de Paris 1924 tels que la presse de l’époque les a racontés.

La photo montre des alignements de pavillons en bois identiques, entassés sur un terrain boueux ceint d’une barrière brinquebalante. La proximité entre deux constructions constituerait une invitation aux querelles de voisinage si les occupants de ces baraquements n’étaient animés d’un esprit chevaleresque et de qualités athlétiques qui les ont rassemblés en ces lieux. Bienvenue au village olympique des Jeux de Paris 1924. Le premier de l’histoire, établi à Colombes (Hauts-de-Seine) à proximité du stade qui va accueillir les compétitions. Un an plus tôt, le congrès olympique a en effet confié aux pays organisateurs le logement des participants. Désormais, «le comité organisateur des Jeux olympiques est tenu de fournir aux athlètes des logements, les objets de couchage et la nourriture, à un prix forfaitaire qui devra être fixé préalablement par tête et par jour».

Ah Colombes, épique objet des ressentiments de la presse de l’époque qui jugeait la commune de la banlieue ouest de Paris aussi facilement accessible pour les spectateurs que le sommet de l’Everest pour des promeneurs en espadrilles. Quant à y loger les athlètes… Le 20 janvier 1924, l’Homme libre s’étrangle à cette idée. «La grande pitié des Jeux olympiques. Et l’on se demande maintenant où pourront être logés les athlètes – si l’on établit un campement à Colombes, qu’il soit lacustre à cause des inondations ! titre en une le journal qui fustige l’impéritie des organisateurs. On a tout prévu, tout sauf le logement des athlètes […] Cela, en effet, n’est pas la moindre difficulté qu’aurait eue à résoudre le Comité des Jeux olympiques, s’il avait eu le temps d’y penser.»

Des lignes à tirer des larmes aux plus optimistes des prophètes de l’olympisme. «Parlons des athlètes, des pauvres athlètes qui ne sauront où loger. Ce n’est pas que les projets de logement leur aient manqué. On a proposé de tout, un peu, et du confortable, et du rudimentaire, et du commode, et de l’impraticable. […] Il y a bien un village provisoire qui s’édifie à Colombes, pour loger les cinq mille chevaliers du muscle qui viendront honorer la France de leur présence. Mais ce village est trop petit ! raille l’Homme libre. Vraiment, ce n’est pas de chance. […] Village sur pilotis, n’est-ce pas ? Cité lacustre ? […] Le Stade de Colombes, en effet, s’élève là où la Seine, pour peu qu’elle déborde, s’étale ; là où l’on n’accède plus de sitôt que le zouave du pont de l’Alma a les chevilles dans l’eau…»

La veille, l’Excelsior s’alarmait déjà, soulignant qu’avant même d’entreprendre sa construction, le lieu d’accueil du village se révélait très incertain. «On avait prévu à Colombes la construction d’un village olympique. Il est douteux que cette organisation soit réalisée comme il avait été prévu. Le comité des Jeux olympiques doit donc aviser au plus tôt.» Il existe des plans B, C, D raconte le journal. Ledit comité a demandé «à la ville de Paris de lui louer des terrains susceptibles de recevoir des baraquements. Des suggestions ont été offertes : le Parc des princes, le camp de Saint-Maur ou Gennevilliers». Et le quotidien de soupeser et comparer les avantages des trois endroits : «Il semble bien que le Parc des princes offrirait certains avantages. Gennevilliers, pour admirablement qu’il soit situé dans le voisinage de Colombes, obligerait les athlètes à une réclusion qui leur paraîtrait sévère. Saint-Maur, a proximité de l’Ecole de Joinville [une unité militaire de l’armée française accueillant des appelés sportifs plus connue sous le nom de bataillon de Joinville], offrirait pour l’entraînement des ressources précieuses.»


Certains pays ont anticipé. «L’importance de la compétition internationale a fait d’ailleurs certaines nations se préoccuper des logements de leurs ressortissants, signale l’Excelsior du 19 janvier 1924. Il est des hôtels qui ont été retenus pour le mois d’avril qui verra les athlètes arriver, les Jeux devant commencer en mai.» Loger les athlètes, c’est bien beau, mais les spectateurs ? Le Comité d’organisation «a fait aménager des locaux spéciaux pour loger les athlètes», rappelle la Presse du 19 février 1924. Et «il demande aux particuliers et aux hôteliers de lui signaler les chambres qu’ils pourront mettre à la disposition des visiteurs. Ceux-ci, peut-on dire d’ores et déjà, sont à peu près certains de ne pas dormir sous les ponts et s’ils y mettent le prix d’avoir des chambres confortables».

Y mettre le prix. C’est bien ce qui scandalise l’Homme libre. Le 22 février 1924, le quotidien fondé par Georges Clemenceau s’indigne : «Pour loger les athlètes, on commence par expulser les étudiants.» Ces impécunieux qui logent dans des établissements à bas prix sont les premiers exposés aux indécentes hausses des prix pratiquées par les hôteliers : «Les victimes de cette manœuvre malhonnête (car le sens aigu du commerce ne doit pas forcément oblitérer celui de la conscience professionnelle) sont tous les locataires les plus malhabiles à se défendre, les moins aptes à engager des procès, les moins susceptibles de savoir se diriger dans les labyrinthes de la chicane : j’ai nommé les étudiants.»

Les Thénardier de la nuitée s’en donnent à cœur joie. D’autant que «les étrangers paient bien. Américains et Hollandais ont la bourse admirablement garnie. Les prix les plus extravagants les laissent froids comme glace. Dans ces conditions, les hôteliers ont pensé que louer des chambres à un prix normal serait sot», dénonce l’Homme libre.

Des hôteliers qui s’endorment des dollars pleins leurs rêves. Car les Américains vont débarquer. «Déjà plus d’un demi-million de locations a été souscrit par la seule Amérique», s’enthousiasme l’Echo national. Les athlètes d’outre-Atlantique, eux, préféreront le château de Rocquencourt, dans les Yvelines, au village olympique finalement bâti à Colombes avec une annexe au Parc des princes comme l’expose le journal : «Pour les athlètes, certaines nations riches ont, d’ores et déjà, loué des hôtels et des maisons entières pour loger leurs représentants. Pour ceux qui seront moins favorisés, un camp olympique a été dressé au Parc des Princes.»

Le «vrai» village est finalement installé à Colombes : une soixantaine de baraquements en bois, qui évoquent, selon les journaux, des «cottages anglais» ou des vulgaires «cagnas». Moyennant un forfait journalier pour le gîte et le couvert, les participants pourront s’installer dans «des villas de cinq pièces, dont chacune recevra deux ou trois athlètes», détaille l’Echo national. Les champions ont à disposition un bureau de change, un salon de coiffure, un bureau de poste et télégraphe, un kiosque à journaux, un service de blanchissage et un service de garde des objets de valeur. Lavabos et douches sont communs ainsi que les réfectoires où leur sont proposés un petit-déjeuner et deux repas chauds par jour arrosés «d’eau minérale, bière ou demi-bouteille de vin». Si les villages olympiques contemporains ont la réputation d’être le terrain de pas mal de roucoulements, ce ne fut pas le cas du premier d’entre eux, exclusivement masculin (1).

Pour être plus proches de la piscine des Tourelles, les nageurs américains, dont Johnny Weissmuller, gigastar de ces Jeux de 1924, finiront par s’y installer. Les Britanniques, eux, ne font pas la fine bouche devant ces cabanes installées à la va-vite sur un terrain non viabilisé. Mais posent une condition : venir avec leur nourriture et leur cuisinier. Un subterfuge pour avaler les épreuves comme des morts de faim ?

(1) Si quelques femmes s’alignent à Paris en 1924, elles ne seront officiellement acceptées aux Jeux qu’en 1928 à Amsterdam.
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